Réglementation européenne et mesure d’audience : une opportunité pour les JICs selon Agnès Maqua
Invitée pour le CIM State of the Union, l’avocate Agnès Maqua ([email protected]) a apporté un éclairage déterminant sur le récent « règlement européen sur la liberté des médias » ou EMFA (European Media Freedom Act, 2024/1083), entré en vigueur le 8 août 2025. Pour elle, ce texte n’est pas seulement une avancée démocratique visant à protéger l’indépendance éditoriale et le pluralisme, mais aussi une opportunité stratégique pour réarmer les acteurs locaux du marché publicitaire.
L’audience, nerf de la guerre publicitaire
La mesure d’audience est bien plus qu’un indicateur technique : elle dicte l’allocation des budgets et conditionne la survie économique des médias. Elle est aussi un baromètre efficace pour la mesure de la performance des contenus. Or, aujourd’hui, deux systèmes coexistent.
D’un côté, les mécanismes d’autorégulation incarnés par les Joint Industry Committees (JICs), transparents, audités et inclusifs. De l’autre, les plateformes digitales mondiales, avec Meta en figure de proue, qui imposent leurs propres métriques opaques et invérifiables.
Résultat : « On a deux thermomètres pour mesurer la même température », résume Agnès Maqua. Et dans ce grand écart méthodologique, ce sont surtout les GAFA qui captent la valeur, tandis que les médias locaux perdent en attractivité auprès des annonceurs.
L’EMFA change la donne
En ciblant explicitement les plateformes, dont Microsoft avec ses options de ciblages (LinkedIn, Bing, learn…), il introduit pour les fournisseurs de services de mesure propriétaire d’audience (FSMPA) une série d’obligations :
- communicatrion d’informations détaillées sur les méthodologies détaillées (échantillons, indicateurs, périodes de mesure, marges d’erreur) ;
- transmission sans délai et gratuitement d’informations « précises, complètes, intelligibles et à jour » aux annonceurs et aux médias ;
- audits indépendants annuels ;
- partage des résultats avec les éditeurs européens dans des formats comparables à ceux utilisés par le marché.
Ces exigences reprennent sept principes structurants : transparence, impartialité, inclusivité, proportionnalité, non-discrimination, comparabilité et vérifiabilité. En filigrane, c’est la volonté de créer un level playing field : plus question que les plateformes définissent seules leurs propres règles, pendant que les JICs doivent se conformer à des standards exigeants.
Un appel à la responsabilité des annonceurs
Cette évolution n’est pas seulement réglementaire. Elle peut aussi devenir un levier de sensibilisation. En rétablissant la confiance dans des mesures d’audience européennes, les JICs disposent d’un argument puissant pour convaincre annonceurs et agences d’investir, voire de réinvestir, dans des environnements médiatiques locaux, garants de pluralisme et de qualité.
Comme le souligne Agnès Maqua, c’est aussi une façon de « responsabiliser les annonceurs à travailler plus avec les médias locaux qui respectent les normes et les codes de conduite ». Un enjeu vital à l’heure où la concentration publicitaire entre les mains de quelques plateformes menace la diversité et l’indépendance de l’information.
Soft law aujourd’hui, cadre plus dur demain ?
Pour l’instant, l’arsenal reste « soft » : l’EMFA encourage l’autorégulation et la mise en place de codes de conduite par l’ensemble du secteur, à l’image de ce qui existe déjà pour la publicité à destination de certains produits ou services, la protection des mineurs ou la lutte contre la désinformation. Ces codes doivent intégrer les sept principes du règlement et faire l’objet d’un suivi transparent par les autorités nationales.
Mais Bruxelles se garde la possibilité de durcir le ton. Comme avec le DSA (Digital Services Act), la Commission pourrait transformer cette impulsion en lignes directrices contraignantes, voire en législation stricte si les pratiques de marché ne devaient pas évoluer comme attendu.
Pour les JICs, ce règlement n’est pas une menace mais une opportunité. L’occasion de consolider leur rôle central dans l’écosystème, de garantir une mesure crossmédia crédible et de remettre les valeurs européennes au cœur de l’économie publicitaire.
Un terrain de jeu plus équitable ne se décrète pas : il se construit. Et pour les acteurs locaux, il s’agit de saisir cette fenêtre de tir avant que l’Europe n’impose des solutions plus radicales.
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