|

Jenni Romaniuk au BAM Marketing Congress : « La croissance des marques passe par la simplicité, pas par les illusions »

Jenni Romaniuk au BAM Marketing Congress : « La croissance des marques passe par la simplicité, pas par les illusions »
© TDLC Photography

Le vendredi 5 décembre, le BAM Marketing Congress a accueilli l’une des voix les plus respectées du marketing scientifique : Prof. Jenni Romaniuk, Associate Director (International) de l’Ehrenberg-Bass Institute. Figure majeure du marketing scientifique, elle est l’architecte des méthodes les plus utilisées aujourd’hui pour mesurer la mental availability, les category entry points et surtout les distinctive brand assets. Avec son mélange caractéristique de clarté, d’humour et d’intransigeance méthodologique, elle rappelle pourquoi son travail est devenu une référence mondiale pour tous ceux qui cherchent à vraiment comprendre comment les marques grandissent.

Ce qui frappe d’emblée, c’est le contraste entre la simplicité du ton et la profondeur de la pensée. Romaniuk possède cette capacité rare : rendre limpides des sujets que les organisations compliquent souvent elles-mêmes. « Parfois, le défi ne consiste pas à créer quelque chose de nouveau, mais à faire quelque chose de nouveau avec ce qui existe déjà. », rappelle-t-elle. Une phrase qui résume bien le message qu’elle est venue délivrer : la croissance des marques passe moins par les ruptures spectaculaires que par la constance, la précision et l’évidence.

La résolution de problèmes comme moteur

« J’adore résoudre des problèmes. Si quelqu’un m’en parle, je vais immédiatement proposer dix solutions », s’amuse-t-elle. Ce réflexe, presque un tic professionnel, explique en partie pourquoi ses études ont eu autant d’impact.

Jenni Romaniuk le dit elle-même : elle aurait pu faire de la recherche dans n’importe quel domaine. Mais le marketing lui offrait « un terrain extrêmement fertile où il reste encore beaucoup à apprendre ». C’est cette combinaison d’intuition et de rigueur qui a donné naissance à ses contributions les plus connues : les distinctive assets, la mental availability, les category entry points.

Quand la théorie se heurte à la réalité du terrain

Les racines de sa recherche sur les distinctive assets racontent bien sa méthode. « Les entreprises disaient comprendre l’importance du branding… puis m’envoyaient des publicités où le logo apparaissait seulement dans les deux dernières secondes », explique-t-elle. C’est ce décalage entre croyance et exécution déclenche chez elle une envie presque compulsive de mesurer, tester, clarifier.

Avec Magda Nenycz-Thiel, elle met alors au point les premières métriques fiables pour évaluer la force d’un asset. « Avant cela, tout reposait sur le gut feeling : ‘je pense que ça va bien fonctionner’, ‘je pense que ça n’ira pas’. Ce n’était pas tenable. »

La tentation de tout changer : un piège marketing universel

L’un des points les plus marquants de l’entretien concerne les redesigns. Une inquiétude très répandue parmi les marketers. Là encore, Jenni Romaniuk reste pragmatique :

Certains ont peur d’être trop consistants. Pourtant, on peut faire des choses extrêmement créatives avec des éléments qui ne changent pas.

Elle cite McDonald’s ou Tony’s Chocolonely, deux marques capables de varier les usages sans toucher à l’essence. Car changer pour changer est rarement une bonne décision : « Si rien n’interfère avec l’efficacité de vos assets, il n’y a aucune raison de les modifier. Continuez à les construire, à les réutiliser, à les rafraîchir. »

Pour savoir quand revoir ses assets, elle prend une métaphore simple : « C’est comme une garde-robe. On ne jette pas tout, on regarde ce qui ne fonctionne plus. »

Comprendre le consommateur typique, pas l’exception

Jenni Romaniuk revient longuement sur la manière dont les entreprises surévaluent certains comportements rares. Elle cite par exemple l’achat automobile : certains passent des semaines à comparer, d’autres — comme elle — une heure. « Ces extrêmes existent, mais ils ne représentent pas la majorité. Le comportement typique est bien plus utile que les moyennes, souvent trompeuses. »

Même constat pour le bouche-à-oreille :

La plupart des conversations au sujet d’une marque ne sont pas du brand advocacy. Ce sont juste des gens qui cherchent à remplir un silence.

Une perspective désarmante de réalisme, et essentielle pour comprendre les vraies dynamiques de marché.

Les KPIs : un problème de croyance plus que de méthode

Un autre point saillant concerne les KPIs. « Tous les indicateurs ne sont pas utiles tout le temps. C’est des horses for courses », affirme-t-elle.

Elle raconte même avoir vu des marketers défendre des métriques inadaptées à leur propre business model « par croyance » : « Certains y tiennent de manière presque religieuse. Ils disent ‘j’y crois’ même quand les données disent le contraire. »

Pour elle, le danger principal est là : l’incapacité du secteur à abandonner ce qui « semble vrai ». Sa conclusion est sans appel :

La science finit toujours par l’emporter. Si vous ne changez pas votre manière de penser, vous deviendrez des dinosaures du marketing.

Une chercheuse qui garde les pieds dans l’entreprise

Au-delà de ses travaux théoriques, Romaniuk rappelle que l’Ehrenberg-Bass Institute entretient une relation étroite avec l’industrie. Les entreprises peuvent collaborer de plusieurs façons : via le programme de sponsorship, qui leur donne accès aux chercheurs et à des projets de mesure avancée ; via des missions ad hoc, qu’il s’agisse d’évaluer la force de leurs distinctive assets, d’analyser leur brand health tracking ou de comprendre leurs category entry points ; ou encore via des media reviews, où l’Institut compare les plans médias existants avec les meilleures pratiques observées. Elle mentionne aussi le programme intensif How Brands Grow for Executives, ouvert à tous, qui permet aux professionnels, y compris déjà plusieurs Belges, d’appliquer directement les concepts de l’Institut à leurs propres marques.

« Quand plusieurs entreprises posent la même question, cela signifie qu’il y a un vrai sujet à explorer », souligne-t-elle, insistant sur cette boucle continue entre recherche académique et réalité business.

Une leçon de simplicité stratégique

Ce qui ressort de l’entretien n’est pas un plaidoyer pour la prudence, mais pour la discipline. Pour Jenni Romaniuk, le marketing efficace est un acte de constance, pas de rupture. Un acte de lucidité, pas de croyance.

Et surtout : un acte de construction mémorielle, patient et cumulatif.

C’est peut-être cela, finalement, sa plus grande contribution au BAM 2025 : rappeler que les marques grandissent quand on se concentre sur ce qui marche réellement, pas sur ce qui brille.

La newsletter

Toute l'actualité des médias et de la publicité chaque jour

S'inscrire gratuitement
Newsletter
Adwanted Inscription