BAM Marketing Congress 2025 : Oleksii Erinchak montre aux marketeurs ce que le “purpose” signifie vraiment en pratique
À Kyiv en pleine guerre, une librairie n’est pas censée prospérer. Elle n’est pas censée grandir, accueillir plus de 50 événements culturels par mois ou encore devenir un symbole de résilience civique. Et pourtant, c’est précisément ce qu’a accompli Oleksii Erinchak, fondateur de Sens : une infrastructure culturelle où les livres, les gens et les idées tiennent bon alors que les missiles tombent dehors.
Lors du BAM Marketing Congress 2025, Oleksii Erinchak a offert quelque chose que l’on voit rarement dans les conférences professionnelles : une démonstration vécue que le purpose n’est pas un slogan. C’est une manière d’opérer, une structure, presque une condition d’existence. Son histoire montre comment une entreprise ancrée dans l’identité, la communauté et la conviction peut non seulement survivre en situation extrême, mais aussi contribuer activement au récit national.
De marketeur produit à bâtisseur culturel
Avec plus de 15 ans d’expérience en marketing produit, rien ne prédestinait Oleksii Erinchak à créer un pôle culturel national. À l’origine, il voulait simplement ouvrir un café de quartier. Mais l’anonymat urbain de Kyiv l’a poussé vers un projet plus ambitieux.
Les gens dans les grandes villes ne connaissent plus leurs voisins. Avec les livraisons, les services… on n’a plus besoin de personne. Je voulais créer un lieu où les gens puissent se retrouver.
Ce lieu deviendra Sens. À son ouverture en décembre 2021, deux mois avant l’invasion à grande échelle, les premiers visiteurs venaient pour les livres et la conversation. En mars 2022, ils venaient chercher autre chose : de l’électricité, un café chaud, un peu de lumière et de présence humaine.
Tout était fermé dans la ville. Mais nous, nous avons gardé la lumière allumée. Les gens venaient parce qu’ils avaient besoin de voir d’autres personnes, de sentir que la vie continuait.
Pour les marketeurs, ce moment révèle l’essence du modèle Sens : la connexion n’est pas un accessoire — c’est la valeur.
D’un centre bénévole à une bouée culturelle
Quand la Russie envahit le pays, Sens se transforme du jour au lendemain. Les habitants du quartier s’y rassemblent dès les premiers jours pour aider l’armée, les personnes âgées ou les voisins.
Nous sommes devenus un centre bénévole sans l’avoir prévu. Il y avait de la musique, une machine à café, du lait végétal… des petites choses qui rappelaient la normalité. Et si quelqu’un voulait acheter un livre, on en vendait un. C’était le seul endroit vivant dans un rayon de plusieurs kilomètres.
Quand l’armée ukrainienne repousse les Russes loin de Kyiv au printemps 2022, les habitants reviennent, cette fois avec une faim de culture.
Après deux ans de COVID puis la guerre, les gens ont compris qu’ils avaient besoin des autres. Un soir, 200 personnes sont venues pour une rencontre. La salle était pleine à craquer. Là, on a compris : les gens ont besoin de culture, de discussions, de livres ukrainiens, et les uns des autres.
C’est de cette manière que Sens est devenu une institution culturelle moderne, intimement liée à l’identité ukrainienne.
Le purpose comme modèle opérationnel
Au BAM Congress, le message d’Oleksii Erinchak était limpide : le purpose de Sens n’est pas décoratif. Il guide chaque décision, de l’aménagement du lieu à la programmation en passant par la langue.
Sens organise plus de 50 événements par mois, réunissant architectes, designers, historiens, activistes et lecteurs. Oleksii Erinchak refuse de remplir le premier étage de rayonnages, même si cela augmenterait les revenus.
Si je mettais plus d’étagères, ce serait plus rentable — mais cela tuerait l’esprit du lieu.
Trouver l’équilibre entre mission civique et viabilité commerciale est un exercice permanent.
Nous investissons énormément d’énergie et d’argent dans le côté civique — les événements gratuits, l’espace public. Parfois, on se dit qu’on devrait pencher un peu plus du côté business. Mais alors, on ne remplirait plus notre mission.
Pour les marketeurs, c’est un exemple rare d’une marque qui choisit consciemment la mission plutôt que la marge. Un purpose crédible car visible dans les décisions quotidiennes.
La langue comme identité. L’identité comme stratégie.
Sens existe pour renforcer la culture ukrainienne à un moment où elle est directement attaquée.
Avant l’invasion, 75 à 80% des livres vendus en Ukraine étaient en russe. Par la suite, cette dynamique s’est inversée : plus de livres ukrainiens, plus de traductions, plus de lecteurs. Sens s’est positionné comme un défenseur de la littérature ukrainienne, non pas via des slogans, mais via ses rayons, ses événements et ses choix éditoriaux.
Pour Oleksii Erinchak, ce travail n’est pas symbolique : c’est une question de survie culturelle.
Si vous dominez la langue, vous dominez la pensée. La langue façonne la manière dont les gens comprennent le monde.
Il veut que Sens reste un lieu où l’identité ukrainienne est visible, tangible, active :
On me dit qu’il n’y a rien à lire en ukrainien. Je montre les rayons et je demande : combien de vies vous faudrait-il pour tout lire ?
Pour les marques, la leçon est claire : la manière dont on utilise les mots crée du sens, de l’appartenance et une vision du monde.
Un modèle pour les marketeurs : ce que Sens nous apprend
Plusieurs enseignements émergent pour les professionnels du marketing :
- Le purpose fonctionne lorsqu’il est vécu, pas proclamé. Chez Sens, l’identité n’est pas un document : ce sont des actes quotidiens.
- La communauté est une valeur. Lorsque les gens se rencontrent hors ligne, les idées circulent et la confiance naît.
- L’identité crée la loyauté. On ne vient pas seulement acheter un livre, on vient se sentir ukrainien.
- Les mots comptent. Le langage façonne la culture.
- Le leadership exige un travail émotionnel. Sens est autant un refuge psychologique qu’une librairie.
- Le sens est un moteur de croissance. Sens s’est développé parce que sa mission a résonné, même — et surtout — en temps de guerre.
« La culture est une défense »
Tout au long de son intervention, Oleksii Erinchak est revenu sur une idée centrale : la culture protège.
La Russie essaie de nous couper de nos racines. Mais la culture, c’est ce qui nous maintient ensemble. Les livres, les rencontres, les discussions — ce sont des formes de résistance.
Concrètement, cela dépasse largement la simple curation de livres. C’est bâtir un lieu où les gens se reconnaissent, où l’identité se renforce, où la communauté devient résiliente.
Pourquoi l’histoire d’Oleksii Erinchak compte
Depuis la Belgique, Sens peut sembler « simplement » une librairie remarquable. À Kyiv, c’est tout autre chose : un modèle de la manière dont une organisation peut protéger une culture, créer du lien et donner du sens en période de rupture.
Pour les marketeurs, son expérience n’est pas une anecdote de guerre. C’est un miroir.
Elle montre à quoi ressemble un leadership dépouillé du superflu, lorsqu’il ne reste que ce en quoi vous croyez, et ce que vous choisissez de défendre.
Ou, comme Oleksii Erinchak le dit lui-même :
Les gens ont besoin des gens. Ils ont besoin de culture. Ils ont besoin d’un endroit où ils peuvent être eux-mêmes et s’y sentir en sécurité.
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